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Sylvain Sorgato, "There are many points of view"
du 16 décembre 2009 au 17 janvier 2010
Présentation
Chaque mois, un membre de l’équipe de la maison rouge invite un artiste dans le vestibule. A partir du 16 décembre, Antoine de Galbert reçoit Sylvain Sorgato.

"Sylvain Sorgato est un type sérieux et méthodique, je peux l’attester, il a dormi chez moi. Les artistes ne sont pas toujours comme dans les images d’Épinal rock’n roll des gens hagards, tenant des propos hors contexte, mangeant salement, et affichant un mépris souverain pour tout ce qui est usage, dans un moment d’illumination créatrice, d’emmerder tout le monde parce qu’ils sont subitement possédés par leur vision. Non, Sorgato construit son œuvre aux horaires de bureau, fait ses nuits et mène une vie familiale sans tumulte qui désespérerait les paparazzi, à supposer qu’ils s’intéressent à l’art contemporain. Il a bien compris qu’une œuvre est une chose trop sérieuse pour être confiée à un « créateur » ce démiurge imaginaire qui plait à l’inconscient collectif. Sylvain Sorgato parle avec précaution de son métier. Il cherche ses mots. Parce qu’il veut les trouver. Il n’est pas homme à se laisser berner par une phrase approximative.
Et puis son travail repose sur une parole donnée. Et quand on donne sa parole on fait tout pour la tenir. Sorgato dessine les yeux fermés, c’est sa manière de tenir une promesse, celle de bien voir, sans se laisser berner par les lunettes de la culture, de ce qui est policé, de ce qui est correct. Et c’est un jeu, un jeu d’enfant. Sorgato joue à colin-maillard avec ses libres associations d’esprit. Fermez les yeux et voyez. Voyez un monde traversé de slogans, de directives, de baseline, de conseils d’utilisation, de mises en garde. Sur les paquets de cigarettes, sur les affiches, les écrans, les panneaux, partout des phrases tellement visibles qu’elle en deviennent subliminales. Fermez les yeux et rendez à votre imagination les injonctions du monde.
Sylvain pense en anglais et dessine les yeux fermés en français. Bref il crée dans sa langue. Tapi dans l’ombre, caché dans les replis du quotidien, observant l’univers, il en régurgite des petites vignettes furtives, pleines de tendresse, d’humour, et de protestation comme des timbres qu’on collerait sur nos lettres de doléances adressées à l’autorité supérieure. Le garçon je l’ai dit est sérieux, mais c’est une façade, celle du professionnel. Dedans il y a un grand satrape rieur qui ouvre toutes les fenêtres pour aérer. D’ailleurs quand on entre dans ses expositions on est frappé par cette multitude de cadres criblant les murs comme autant d’issue par où surgirait la lumière. Après cette vision globale à la fois sereine et mathématique, on va chercher les histoires en picorant d’un cadre à l’autre, en musardant au hasard. Mais comme toujours dans l’expression artistique le hasard n’y est pour rien. Le hasard est un mot inventé pour masquer un mot plus cruel : la destinée.
Il n’y a pas de destination dans une exposition de Sylvain Sorgato, pas plus qu’il n’y a de sens, d’orientation, de point d’arrêt ou d’étapes. Il y a une destinée, et donc une forme de magie noire. Car chaque visiteur est choisi par un tableau : celui qui lui parle, celui qui lui ressemble, celui qui livre son rébus intérieur. Les gens qui repartent avec un tableau sous le bras ont subi le choc d’une phrase suspendue associée à une image chaotique. Mais l’alchimie des deux a produit une diapositive dans leur album personnel. Parler à tout le monde et convaincre chacun, il faut être sorcier autant qu’artiste."
Denis Parent
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