Projection de « Cutter's Way, (La Blessure) » d' Ivan Passer (1981, 1h49) en présence d'Hélène Delprat
"Deux (anti-)héros shakespeariens, Cutter et Bone, luttent pour qu’éclate la vérité sur les crimes sexuels d’un magnat du pétrole dans une petite ville. Le corps estropié du vétéran Cutter, sa chair marquée et ses mots d’esprit tranchants réclament haut et fort que s’exécute la justice, celle des vaincus et des bouffons, dans l’ordre du fascisme planétaire et du capitalisme véreux. La petite ville devient un monde où circulent les images survivantes du rêve américain en ruine et de la déportation, un western terminal où la vengeance est la seule justice qui reste. On y voit rejoué tout le siècle, tragédie et farce où éclate le rire des victimes venu d’une Europe contagieuse pour inquiéter le large sourire californien.
Cette trame allégorique, d’une enquête qui vaut pour l’histoire, d’un récit qui vaut pour le monde, accueille le spectateur dans ses mailles pour mieux le garder auprès des personnages, au plus près des éclats qui font et défont leurs vies. C’est la tendresse infinie du film, qui nous fait séjourner parmi les solitudes sans remède du mélancolique Bone (Jeff Bridges, acteur qui est presque à lui tout seul incarne le délire du cinéma américain des années 80), du bouffon grandiose Cutter (John Heard) et de sa femme Mo (Lisa Eichhorn), dont le regard s’anime à chaque instant d’une joie possible, diluée dans l’alcool triste.
Leur alliance fragile, le couperet de leurs bons mots agressifs, cette puissance vitale dérisoire face à la machine du récit et du monde qui les mène à leur fin, c’est ce qui emporte le film plus loin que son siècle reflété et qui le fait irradier d’un bonheur sombre. C’est peut-être qu’ici la vraie justice s’accomplit quand, en dernière instance, la tendresse l’emporte sur l’allégorie. "
Luc Chessel, Les Inrockuptibles
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